Supposons le corps d'un être humain mort, mais en parfait état : c'est-à-dire avec un cerveau, des muscles, un système nerveux, etc., parfaitement sains. Que manque-t-il à ce corps pour qu'il s'anime ? La vie, bien sûr ; ou plutôt l'étincelle de vie qui mettra cette machine en marche, la fera s'animer et l'entretiendra en animation. Cette vie, cette étincelle de vie, ce souffle, c'est le KI.


Il est d'ailleurs intéressant de noter que le verbe animer, qui vient du latin animare, signifie donner la vie et que le mot âme vient du latin anima qui signifie souffle ou bien vie. Le KI, c'est la manifestation de la vie, c'est l'essence de toute chose. Le KI n'a ni début ni fin. Sa valeur absolue ne peut s'accroître ni décroître. Dans la cosmologie japonaise, le KI c'est le chaos originel quia donné naissance à toute chose.

A sa naissance, l'homme reçoit le KI. Lorsque la mort survient, le corps perd son KI et celui-ci retourne dans le KI universel. Si l'échange dans les deux sens, entre le KI universel et notre KI est constant, nous sommes en bonne santé. Lorsque nous sommes malades, le KI s'écoule mal, son flot est ralenti et des déséquilibres énergétiques s'en suivent. L'acupuncture s'emploie à remédier à ces déséquilibres. La nourriture que nous absorbons joue également un rôle considérable.

Le mot KI n'a pas d'équivalent en français et est donc intraduisible.

En japonais, ce mot n'a pas non plus de contenu sémantique précis. En face du mot KI dans le dictionnaire on trouve : âme, esprit, intention, désir, sentiments, tempérament, caractère, humeur, disposition d'esprit, inclination, attention, inquiétude, apparence, physionomie, aspect, condition, état, air, atmosphère, vapeur, buée, éther, gaz, corps gazeux, parfum, arôme, respiration, fluide vital. Bien entendu, de toutes ces traductions, il ressort clairement que le mot KI ne fait pas
allusion à quelque chose de matériel. Si vous demandez au Japonais moyen, comme ça, à brûle pourpoint, s'il sait ce qu'est le KI, juste après vous avoir dit oui, il commencera à se gratter la tête s'apercevant qu'il n'y a pas d'explication précise. En effet, si depuis sa plus tendre enfance il entend et emploie quotidiennement des dizaines de fois ce mot c'est à chaque fois dans un sens différent. Pour lui, le KI, c'est avant tout un concept, c'est-à-dire une idée conçue ou acquise par l'esprit. Acquisition qu'il a faite sans s'en rendre compte jour après jour pendant l'apprentissage de sa propre langue. Afin de mieux comprendre et d'acquérir
ce concept, il nous a semblé intéressant de nous mettre dans la même situation que le Japonais, en abordant l'étude « dudit concept », par la langue. Nous allons pour cela analyser sommairement un certain nombre de mots ou d'expressions japonaise utilisant le mot KI.


Le mot KIMOCHI est l'un des plus courants et il signifie, selon le cas, sentiment, humeur, état d'esprit ou impression. Ce mot est formé de deux idéogrammes, KI et MOCHI (du verbe motsu) qui signifie tenir ou bien posséder. Une impression ou bien un état d'esprit (kimochi), c'est donc le KI que l'on a saiside quelque chose.
Si vous entrez pour la première fois dans une maison et que sans savoir pourquoi vous vous sentez bien, vous direz : « Ah kimochi no ii uchi » : c'est une maison dans laquelle règne un bon KI, l'ambiance y est agréable. Dans la plupart des cas, le mot KIMOCHI (le KI que l'on tient) fera réfiérence à une sensation. Quelqu'un qui vous inspire confiance ou, dans le cadre de l'Aïkido, une personne avec laquelle la pratique est agréable sera une personne qui a un bon kimochi ou, le contraire, quelque chose de répugnant vous fera dire : « Ah Kimochiwarui » : le Ki est mauvais.


Le KIAI, le cri qui tue comme on peut lire dans certains livres ou revues fantaisistes, est nommé de KI et de AI (même caractère que AI de Aikido) qui signifie unir, harmoniser, rencontrer, KIAI littéralement signifie donc union du KI et sa traduction exacte sera cri, humeur.

KIAI MAKE de Kiai que nous venons d'étudier et de Make : perdre. Littéralement « qui a perdu l'union du KI », se traduit par complexe d'infériorité (dans le cadre d'un combat).

KIHAYAI de KI et de Hayai (rapide) veut dire impétueux, vif. Ouelqu'un de vif, c'est donc quelqu'un quia le KI rapide.
BYOKI, mot formé par le caractère BYO (maladie) et KI, signifie malade. Etre malade, c'est avoir le KI malade.
KIBYO, formé des deux mêmes caractères, mais inversés, ne signifie plus avoir le KI malade mais être malade du KI, c'est-à-dire mélancolie ou bien souffrance morale.
KICHIGAI (folie) de KI et de CHIGAI (différent) avoir le KI différent, c'est donc être fou.
KIATSU de KI et de Atsu (pression). KIATSU : pression atmosphérique.
KIDO de KI et DO (chemin, voie). Les voies du KI : les voies respiratoires.
KIDATE de KI et de DATE (debout) signifie tempérament ou bien caractère. Quelqu'un quia le KI levé, debout, c'est quelqu'un qui a du caractère.
KIFU qui signifie disposition d'esprit est formé de KI et de FU (vent). KIFU, le vent de l'esprit.
KI GA NUKERU : expression signifiant que le KI est détaché (nukeru) se dit lorsqu'on est découragé, quand on n'a plus envie de continuer quelque chose d'entrepris.
KI GA MUKU (muku : aller vers), le KI va vers, c'est-à-dire avoir du goût ou bien de l'attirance pour quelque chose.
KI GA TSUKU (tsuku : adhérer, attacher), le KI qui adhère : se rendre compte de.
KI NI IRU (iru : entrer), entrer dans le KI : plaire.
KI Nl SURU : littéralement, en faire du KI : s'inquiéter.


Et nous terminerons par l'analyse d'un mot qui n'est pas dépourvu de signification, le mot KUKI de KU (vide) et de KI, soit le KI du vide, c'est-à-dire l'air que nous respirons.


La notion de KI est également présente dans le domaine artistique et plus particulièrement dans la peinture japonaise et chinoise. En effet, un des critères les plus importants et faisant partie des six principes avancés par le savant chinois SIE HO au Veme siècle est le principe du KI IN SEIDO. La traduction donnée dans les ouvrages artistiques est : la consonnance de l'esprit engendre le mouvement de la vie. La formule est un peu hermétique et en fait, le principe de KI IN SEIDO veut dire que pour qu'une peinture ait une valeur artistique quelconque, il faut qu'on en ressente le KI.


Il ressort de toutes ces analyses que le KI est omniprésent autour de nous, il est notre air, notre vie, notre énergie, nos sensations, nos humeurs. Il est insaisissable et indéfinissable. Si nous pouvions définir exactement le KI, ce ne serait déjà plus le KI. Le KI fait partie du monde de l'intuition car il est intuition, du monde de la sensation car il est sensation, de la puissance car il est puissance, de l'énergie car il est énergie.


Maintenant, nous comprenons mieux le concept KI mais ce n'est toujours qu'un concept. Notre problème à nous, aikidokas, est de passer du concept à l'expérience. L'Aikido, c'est la voie de l'harmonisation du KI ou bien la voie de l'harmonisation avec le KI. En tant que technique, l'Aikido, c'est aussi un ensemble de mouvements basés sur les lois naturelles du cercle et de la spirale. C'est cet ensemble de mouvements qui, à force de travail, de recherches et de répétition, va nous permettre de laisser librement s'écouler notre KI, de l'unir à celui du partenaire dans un même mouvement et par extension à tout ce qui nous entoure. C'est donc la pratique de notre art qui va nous permettre d'accéder à la sensation du KI. 1l va sans dire que cette pratique, dans ses formes de base, doit être la plus exacte et la plus rigoureuse possible. Un mouvement effectué en force avec les épaules bloquées ou les hanches mal placées ne permettra pas d'accéder à la sensation du KI et à son écoulement. C'est le détail technique relatif à la position des mains, des hanches ou des coudes qui, dans un premier temps, débloquera le corps, lui assurera la plus grande possibilité de souplesse, de puissance et de sensation.

Article tiré du livre "AÏKIDO FONDAMENTAL" de C. TISSIER